Quelques lignes en hommage à ceux qui rêvent d'Europe
EUROPEA
Comme le vent descend des monts de Norvège
Un froid s'appose sur le paysage incertain
Blancheur givrée des matins blêmes européens.
Tout commence un matin en effet, alors que rien ne bouge encore
Dans l'obscurité des forêts et dans les demeures empierrées des grottes
Les oiseaux se taisent et les poissons aussi par la force des choses
Le cerf repose, les chouettes pétrifiées dorment telles des sphinxs.
C'est un matin européen. Il a le sourcil froncé sous les paupières bleutées.
Il marche avec elle, sa soeur ou sa femme, devenus européens à cet instant
Qu'ils franchissent le Bosphore et passent dans le continent.
Début d'une incommensurable quête.
De ce matin, ils ne cessent de marcher laissant derrière eux des chemins de boue ou de poussière,
Gravissant les flancs des montagnes, passant des cols
Jusqu'aux pyrénéens, longeant des précipices,
Pénétrant des forêts claires de résineux et d'autres plus épaisses de chênes
centenaires.
Où vont-ils ces intranquilles?
Avec la résolution de ceux qui ignorent tout de la douceur et de l'immobilité des
choses.
Mais reprenons leur parcours, le Bosphore, premiers pas dans la lumière du jour,
L'air est doux, ils remontent vers la mer Noire, puis le long du fleuve européen
Qui charrie des troncs flottants, et tout un paysage de plaines, châteaux, bois, villages et villes fortifiées.
Longue avancée régulière et lente à rebours du courant.
Dans les grandes plaines du Danube ils se sont arrêtés,
Un instant.
Au réveil il est midi et le soleil les darde,
Ils reprennent le sentier des haleurs cherchant l'ombre et le frais,
On les regarde passer, qui sont ces étrangers
Ils hésitent sur la voie à prendre.
Choisissent de quitter les ornières et d'aller par la route,
A découvert
Les lumières éclatantes leur font cligner des yeux
Ils remontent vers le nord
et tout semble tellement rationnel
Oeuvre de géomètre
Tel est l'esprit européen
Ils l'apprennent en avançant.
Et aussi que ce vieux continent qu'ils arpentent est celui des conquérants, des croisés
Des chevaliers, plus barbares que les barbares, plus sauvages que des bêtes,
Mais portant hauts de chausses, et casque doré et sachant parler aux dames.
Ils ont l'impression d'avoir vécu deux mille ans
Ils passent devant des monuments ornés de fleurs, des commémorations de toutes ces vies accidentelles.
Longue avancée régulière et lente à rebours des monuments.
Des ombres pleurent derrière les pierres
Encore chaudes de l'antique soleil
Tous ces morts, ces disparus,
Dans le grand chamboulement des frontières, ils avancent
Jusqu'au Rhin
Au pont, une halte brève
La marche reprend par les régions lisières
Les forêts, les lacs, les usines vieilles et grises, les villages ardennais
Où à la fenêtre parfois une femme les regarde passer
En silence, seulement passer
Ils n'en reviennent pas
De ce froid qui les gagne
Poursuivre sans s'attarder
Elle en deuil de son enfance et lui dans d'obscures pensées
Et tout à coup
Le soir les enveloppe.
Il fait sombre déjà et le continent européen, tel un grand mammifère marin,
Sombre dans un sommeil cyclopéen.
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