Madame Hayat de Ahmet Altan

Les étudiants en littérature, emmenés par des professeurs ou des rencontres qui les plongent dans les œuvres des grands romanciers, semblent, à l'instar de Fazil, le personnage principal de Madame Hayat ou du narrateur de La plus secrète mémoire des hommes, le dernier roman primé au Goncourt, mener des vies un peu différentes de celles des autres humains, comme s'ils vivaient, avec une expérience démultipliée, tout ce qu'ils entreprennent.

En Turquie, Fazil, donc est un étudiant en lettres, tombé dans la pauvreté suite au décès de son père. Il vit dans un immeuble où cohabitent d'autres déshérités comme lui, poètes ou marginaux. Tout ce monde s'arrange pour vivre au mieux et cet immeuble apparaît comme un refuge face à l'adversité du monde extérieur, jusqu'au jour où..

Mais en attendant Fazil fait son éducation sentimentale en tombant amoureux presque simultanément de deux femmes. La première Madame Hayat rencontrée dans une émission télévisée où il fait de la figuration, est une femme mûre et d'une beauté voluptueuse, libre de corps et d'esprit. Elle l'initie au plaisir et à la légèreté de la vie, qu'elle appréhende avec une grâce et désinvolture qu'il ne comprend pas toujours, lui le sérieux et le grave. La seconde femme est l'alter-ego féminin de Fazil, du même milieu que lui, du même âge, très belle.

Celle-ci bâtit le rêve d'émigrer pour poursuivre ses études à l'étranger, se rendant compte que l'université est de plus en plus sous contrôle et que leur avenir est compromis. Elle cherche à entraîner son amoureux Fazil avec elle.

Les deux femmes peuvent être perçues comme la métaphore d'un ailleurs. Mme Hayat c'est le souvenir d'un pays où le peuple peut vivre librement dans le respect de ses traditions, et qui s'apparente par certains côtés à un orient fabuleux ou merveilleux ; la seconde, c'est le rêve de fuir un pays où la dictature s'installe pour s'établir à l'étranger.

Fazil qui ne se reconnaît pas dans la société qui se met en place ne sait que choisir entre ces deux « ailleurs » qui lui permettent de tenir au quotidien, et cette interrogation revêt beaucoup plus de force quand on sait que c'est en prison, loin des femmes et de la Turquie qu'il aime, que l'auteur Ahmet Altan a rêvé Mme Hayat.