La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr

"La plus secrète mémoire des hommes" de Mohamed Mbougar Sarr est un roman foisonnant, un roman monstre, qui mêle comme rarement l'écriture et la vie. L'auteur, jeune trentenaire cherche à embrasser le monde et la littérature d'un même mouvement, à tout dire tout de suite, avec la fougue et l'ambition de la jeunesse. En le lisant, j'imaginais les soirées et les nuits entières qu'il a pu passer avec ses comparses dans de petits appartements parisiens, à lire à voix haute, à commenter, à s'engueuler pour une phrase, un passage d'un texte, à refaire le monde, littéralement. Et je l'enviais secrètement pour cet appétit immodéré de la littérature, pour sa confiance en elle, en sa capacité à nous faire sortir des sentiers, à déplacer le regard du centre à la périphérie, à le porter plus au large, plus loin.

Ses passages sur le monde des lettres, l'édition, les auteurs qui l'ont précédé, la critique, analysent ce qui fait le succès ou l'échec d'une oeuvre, sa réception auprès des initiés. Il offre ainsi un miroir à son propre roman, qui est le double du roman perdu dont on cherche la trace "Le labyrinthe de l'inhumain". Les différents articles critiques (fictifs mais qui ont l'apparence de la réalité) sortis au moment de la parution du "Labyrinthe de l'inhumain" dans les années 30, sont des témoignages passionnants de la palette des manières de penser d'une époque à l'égard d'un auteur provenant des colonies, "un nègre". Rien que ces pages sont extraordinaires.

Le passage sur l'enfance de Sélimane au Sénégal, l'auteur disparu du "Labyrinthe de l'inhumain" sont magnifiques, et ont la simplicité et la limpidité d'un conte.

Le roman prend aussi l'allure d'une quête, d'une enquête à la recherche du manuscrit perdu et l'on peut se perdre dans un dédale de personnages qui ont vu, entendu parler ou croisé Sélimane à travers les époques (avant-guerre, après guerre, de nos jours), les continents, l'Afrique, Haïti, l'Argentine, l'Europe.

Un roman monde.