Feu de Maria Pourchet
Un roman sur l'un des grands thèmes de la littérature, celui de la passion amoureuse. C'est un défi pour une romancière de reprendre ce sujet traité par les plus grands mais Maria Pourchet s'en sort plutôt bien et même très bien, dans un style vif et contemporain qui fait qu'on ne lâche pas le livre. Plus encore, je dirais que ce roman, dans sa composition épurée a quelque chose de la tragédie racienne. Pourquoi ? Comment ? Et bien voilà.
Deux tragédies en particulier Phèdre et Bérénice peuvent être évoquées. Phèdre, qui met en scène une reine, mariée à Thésée qui est prise d'une passion violente et illégitime pour son beau-fils Hippolyte et Bérénice, cette reine de Palestine qui aime Titus, nouvel empereur de Rome qui l'aime aussi mais à laquelle il doit renoncer pour devenir empereur.
Dans ce roman, Laure qui cherche un intervenant pour un colloque qu'elle organise, rencontre Cément pour l'y inviter dans un restaurant et là, c'est le début de l'incendie. Laure, le personnage féminin s'embarque dans un amour fou, qui bouleverse violemment sa vie entière (Phèdre et plus tard Bérénice) ; de l'autre côté, Clément, le personnage masculin, malgré son amour réel pour Laure, est confronté à l'impossibilité de bâtir une relation durable, pris qu'il est par son travail et un mode de vie solitaire par lequel il a renoncé à toute vie de famille (Titus).
Sur le plan formel, on retrouve dans ce roman les trois unités propres à la tragédie et qui contribuent à son intensité. Une seule action principale : la passion entre Laure et Clément qui ravage tout et quelques actions secondaires, notamment concernant Véra, la fille de Laure, dont on verra qu'elles servent finalement l'action principale. Une unité de temps, non pas de 24 h mais d'une année environ : printemps/été/automne/hiver, ce qui contribue au réalisme de l'histoire. Le lieu, c'est Paris, chez lui, chez elle, au restaurant, un week-end en province ou en Italie, et tout cela est relié par ce qui n'existait pas au XVIIème siècle, les messages ou vidéos au téléphone qui créent de facto une unité spatio-temporelle puisqu' qu'ils se joignent ou sont joignables à tout moment.
Les personnages de tragédie appartiennent à la haute noblesse, rois, reines, courtisans, etc.. ; Laure et Clément font eux partie des classes supérieures de la société, Laure est professeur d'université, et Clément, travaille pour une banque internationale appelée la Banquise. Chacun des deux personnages principaux « fonctionne » avec deux personnages ou groupes de personnages secondaires, 7 personnages en tout, ce qui est conforme au nombre de personnages d'une tragédie. Pour Clément, c'est d'abord son chien, qui joue le rôle de confident, c'est à lui (et au lecteur) qu'il raconte ce qu'il se passe avec Laure et dans sa tête ; et puis sa mère, peu aimante qui est finalement l'opposante principale à la possibilité de l' amour, qu'il n'a jamais connu.
Du côté de Laure, on a d'une part son mari Anton et leur fille Anna, qui représentent ce qu'elle abandonne prise qu'elle est dans le feu de la passion, sans possibilité de faire autrement. Et Véra, sa fille qui par son comportement d'adolescente à risques fait tout, semble-t-il pour ramener sa mère à la réalité. C'est elle aussi qui a compris ce qui se joue, très vite et c'est peut-être elle finalement qui va « sauver » sa mère. Contrairement à Phèdre que sa nourrice Oenone va pousser à mentir et à commettre l'irréparable, Véra, elle, comme son nom l'indique, dit la vérité ou sait la vérité.
De cette construction simple, de cette symétrie entre les personnages en présence (notons également que Laure et Clément sont tour à tour narrateurs de l'histoire) se dégage avec force et intensité une histoire d'amour qui fait que l'on ressent avec eux les rougeurs, les pâleurs, les pulsations des cœurs battants, du feu qui brûle, et que l'on soupire et que l'on pleure aussi sur cet amour si malheureux. L'effet cathartique est bien présent comme dans les tragédies.
Bonne lecture !
Ajouter un commentaire